Interview de Bernard Tapie en Février 1986 avant sa prise de fonction

Bernard Tapie, vous arrivez aujourd'hui dans le monde du football avec un projet, des idées et des hommes.
Ma démarche générale ? Disons que, pendant cinq ans, j'ai travaillé dans deux cabinets conseils, un américain et un français, spécialement chargés des entreprises en difficulté. Pendant cete période, je me suis forgé une philosophie que je résumerai ainsi : une entreprise sur deux qui meurt est ce que certains appelaient avant moi une "mort illégitime". Autrement dit une boîte qui ne devait pas mourir.
Je me suis rendu compte qu'une société en difficulté subissait un grand nombre d'actes de terrorisme qui allaient directement et presque immédiatement l'agresser, entraînant une explosion des paramètres normaux de gestion de l'entreprise.

Interview en 2016
Ca commence par le personnel qui fuit la société en question pour se diriger, la plupart du temps - et ça n'arrange rien- chez le concurrent.
Ca continue par la désorganisation des structures financières, avec les banques ou les sociétés de crédit qui coupent toute alimentation, et par une perte générale de la confiance.
Bref, tout explose. Et l'échec de l'entreprise est vécue comme un échec collectif, l'échec d'une équipe.
Le problème humain qui se pose alors est de recréer une dynamique inverse de la dynamique de l'échec. C'est la grande difficulté. Or, sans dynamique de succès, l'entreprise est condamnée à la mort.
A l'OM, des tas de gens ont échoué avant vous?
Je crois savoir pourquoi. Il y a trois éléments. D'abord, et ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre, le sport n'est pas une science exacte. S'il l'était, il serait déprimant et n'aurait aucun intérêt. Il n'existe pas de réponse certaine à donner en pâture à ceux qui demandent que Marseille soit champion de France.
A Marseille, on veut être le numéroe 1. Peut-être nous aurorisera-t-on à être numéro 2 mais l'objectif qu'on nous assignera, ce sera la première place. On pourra faite toute ce qu'on veut et toute ce qu'on peut, il n'est pas cerain qu'on y parvienne. C'est un vrai problème. J'ajoute autre chose : il y a des endroits où les éléments du microcosme local vous autorisent plus de délais qu'ailleurs.
Je pense, par exemple, qu'à Nantes on sait se montrer plus patient qu'à Marseille, où il faut tout, tout de suite.

Il y a, à Marseille, une telle pénétration du football dans toutes les structures, aussi bien politique, économique, industrielle, sociale que culturelle, que chaque Mareillais se sent propriétaire de l'OM. C'est ce qui me surprendra toujours. Quand il y a 30 000 spectateurs au stade, on compte autant de sélectionneurs.
Comment Hidalgo vous a-t-il séduit ?
Quand un type arrive à traverser sans dommage, comme il l'a fait, les périodes pré et post-Coupe du monde, c'est forcément un grand mec. Quand vous faites jouer ensemble, sous le même maillot, des gens qui n'avaient plus aucune espèce de raison de jouer dans la même équipe, et que ça ne se ressent pas sur le terrain, je dis qu'il faut être balaise !

Que vous faut-il pour réussir?
J'ai dit : les moyens et les hommes. Il y a les moyens, et pas les hommes.
Chacun considère qu'à la place d'Untel il aurait fallu mettre tel autre et vice versa. Le football et un sport dans lequel les gens se reconnaissent presque immédiatement toutes les compétences. Tout ça parce que, à un moment ou un autre, on a tous tapé dans un ballon.
Les hommes, c'est...
Hidalgo, par exemple. S'il avait été à Bordeaux, il y a deux ans, si le président s'était contenté de faire son métier, et pas la sélection de l'équipe, s'il n'avait pas traité Tigana de sale Nègre il y a deux mois, s'il n'avait pas attaqué les gens d'Antenne 2 parce qu'ils avaient osé dire que... Bordeaux serait peut-être champion d'Europe, Oui.
Les hommes, ce sont aussi les joueurs. Dans votre esprit , quels sont ceux qui ont la dimension européenne ?
Ceux que vous venez de citer ? c'est -à-dire de vrais professionnels qui sont capables d'être champions d'Europe. On les a, la preuve, ils ont remporté ce titre, et ils sont qualifiés pour la Coupe deu Monde.
Peut-on penser, que dans les clubs, ils n'expriment pas toutes leurs qualités ?
Il faut une structure de base sans laquelle rien n'est possible vraiment. Guimard a bâti, en dehors du fait qu'il avait de grands champions, une vraie équipe cycliste.
On en revient à la notion du hasard.

En fait, ils n'étaient pas l'émanation d'une collectivité brillante, c'est un trio qui a créé avec Platini un ensemble de circonstances favorables. Mais il faut savoir que le hasard n'est pas un élément suffisant pour en tirer des conditions générales.
Les structures de base n'existent pas dans le football français ?
Exactement, elles n'existent pas, nulle part. Ou alors, oui, elles existent, car ce n'est jamais tout blanc ou tout noir.
A Nantes, il y a toute une partie de ce qu'il faut faire, mais il manque quelque chose. Au Paris-Saint-Germain, il n'y a pas tout. Il n'y a pas la chaleur du public, il n'y a pas la structure d'entraînement réelle, il manque un truc. Il n'y a pas tout le package. Or, pour gagner une Coupe d'Europe, il faut tout et, quand vous avez tout, vous n'êtes pas sûr d'être champion d'Europe.
Quelle pourrait être, dans ces conditions, la structure idéale d'un club professionnel français en 1986 ?
Je la vois sous la forme de deux autorités, l'une n'exerçant jamais le pouvoir sur l'autre. Il y a une autorité sportive qui doit, tout le temps, en toute cironstances, rester détachée des contingences économiques.
Quelle est la relation entre les deux ?
Uniquement un cahier des charges, qui délimite le pouvoir, les droits et les devoirs de chacun. Le sportif , son droit et son devoir, c'est : "Je veux tel moyen pour arriver à tel résultat". Mon devoir à moi, c'est de lui donner tel moyen pour qu'il ait tel résultat. Et, je lui épargne tout ce qui n'est pas lié à son milieu.
7 ans plus tard cet interview, Bernard Tapie réalisera son rêve, la Champion's League.
Nous supposons que vous avez déjà planché sur le futur visage de l'O.M. Où en êtes-vous en ce qui concerne les joueurs ?
Parmi ceux que j'espère, il y a Tigana. (voir le but de celui -ci dans la vidéo de l'INA ci-jointre en finale contre l'OM)
Ets-vous intéressé uniquement par l'esprit sportif, ou bien envisagez-vous d'autres actions avec les joueurs que vous recruterez ?
Je suis intéressé par les deux aspects. Caractère, comportement de l'homme, ce qu'il représente, ce qu'il incarne, ce qu'on peut faire avec lui quand il ne sera plus fooballeur.
Quand un joueur arrive en fin de carrière, il lui reste trente ans à vivre. Trente ans. Quand je dis à vivre c'est à vivre en activité. Donc, il a intérêt à ne pas se tromper.
Avez-vous des idées précises pour chaque joueur ?
Absolument. Chaque joueur a un plan de carrière étudié par mon service marketing, en fonction de sa personnalité, de la façon dont il est reçu. Il y a une étude d'image qui est faite sur chacun.
Peut-on considérer que votre étude porte sur une quinzaine de joueurs ?
Nous avons établi vingt-sept fiches, dont onze concernent des étrangers. Il y a tout sur les points forts, les points faibles, la notoriété, le physique de ces joueurs.
Un jour de Mai 1993, la tête à Basile...