Jean Carrière est né à Nîmes en 1932 et selon ses propres termes, a vécu "dans les garrigues nîmoises et uzétiennes une existence libre et un peu sauvage."
En même temps, il trouve très jeune dans l'écriture son univers de prédilection. Mais la lente et profonde maturation qui est caractéristique de sa démarche créatrice lui fera attendre 1967 pour publier son premier roman, Retour à Uzès, accueilli avec grand intérêt par la presse et couronné par l'Académie française.
Le public sera plus long à suivre, et Jean Carrière ne ressortira de ses Cévennes qu'au printemps 1972, pour publier L'Epervier de Maheux, prix Goncourt.
La Caverne des pestiférés (1978)
Eté 1835. Julien Jourdan, 42 ans, bourgeois cévenol monté à Paris après son mariage, se met en route pour Nîmes, sa ville natale, où la maison familiale a doit être vendue. Quand il arrive à Pont-Saint-Esprit le choléra de la grande épidémie tient déjà tout le Sud.
Jourdan prend quand même la route de Nîmes, à la rencontre de sa jeunesse.
Rien ne sera plus jamais pareil pour lui. A partir de là sa démarche. n'aura
plus qu'un but : reprendre à zéro les chemins de son adolescence, et "se
débarrasser à chaque instant de ce qu'il est devenu, par des actes de grande
urgence".
Toutes les rencontres qu'il va faire, toutes les aventures qu'il va vivre
(d'une minutieuse exactitude historique) le mèneront tout droit au fond
des Cévennes, vers la Caverne de cette terre promise que son enfance n'avait
fait qu'entrevoir, et que nous portons tous en nous, d'une manière ou d'une
autre.
Le choléra, je crois qu'en période d'épidémie, tout le monde l'attrape.
" Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés... "
Voilà trois jours que je tripote des malades. j'en ai déjà assez tripoté
en 32 pour être mort cent fois. Il est plus que certain que je suis contaminé
et que vous l'avez probablement comme je suis certain que vous l'êtes aujourd'hui.
Mais il y a un comportement particulier de la maladie selon chez qui elle
tombe. A l'heure où je vous parle, il y a dans ce canton des milliers de
gens qui éprouvent des malaises inexplicables : pesanteurs, douleurs obtuses
à l'épigastre, oppression, mauvaises digestions, transpirations subites,
vertiges. Certains mourront. Beau-coup seront épargnés et ne sauront même
pas que la bataille a eu lieu entre leur corps et le mal indien.
Le souffle glacial du monstre asiatique a tout décoloré, tout flétri. Les
boutiques ne rouvrent plus, les cloches ne tintent plus, les chants des
prêtres ont cessé. Il semble que le pied d'aucun être vivant ne doive plus
s'imprimer sur la poussière des rues désertes. Seulement d'intervalle en
intervalle, on entend le pas grave et mesuré des patrouilles qui circulent
pour déjouer les projets de quelques malfaiteurs. A la chute du jour, des
feux de goudron allumés de distance en distance brillent solitairement
sur les places publiques et répandent une lueur rougeâtre avec des tourbillons
de fumée étouffante. En même temps,de nombreux coups de canon ébranlent
l'air, et ces détonations lugubres au milieu du silence universel semblent
célébrer les funérailles de la ville entière, pour satisfaire une partie
de la population qui croit que de fortes commotions peuvent purifier l'atmosphère.
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